lundi 25 août 2014

Un poilu ordinaire: Joseph Pelé


La Grande Guerre a touché directement beaucoup de familles, particulièrement dans nos régions de l'Ouest, demeurées très rurales. De nombreux soldats ont passé plusieurs années au front, beaucoup y ont laissé leur vie ou sont rentrés avec des séquelles graves, souvent invalidantes.

Ce fut le cas de Joseph Pelé, notre grand-père maternel qui fit toute la guerre sur différents secteurs du front, jusqu'à sa blessure en 1917.

Cliquer pour agrandir les images

Il n'a laissé ni écrits, ni dessins, ni photos...Nous ne l'avons malheureusement jamais connu. Nous ne savons donc pratiquement rien de sa guerre...

Internet permet aujourd’hui, en quelques clics, de connaître un peu mieux son parcours grâce à la mise en ligne d'archives officielles par le département ou le ministère de la guerre. Il est même possible de visualiser les lieux évoqués.

C'est l'objet de ce blog qui donne avant tout les pistes (sites internet, pages à consulter) pour que chacun puisse, à son rythme -et avec un peu de patience- suivre le parcours de son aïeul.


Joseph Pelé est né en 1892, au village de la Vieuville, à Landéan, dans une famille d'agriculteurs. Il travaille à la ferme jusqu'à son service militaire qu'il effectue, à 21 ans, en Octobre 1913, au 2° régiment d'infanterie basé à Granville.  Quelques mois auparavant, face à la montée des tensions internationales, le Parlement vote la loi des 3 ans: chaque conscrit doit désormais 3 ans de service militaire (au lieu de 2). On imagine son inquiétude et celle de sa  famille à son départ sous les drapeaux. On a besoin de bras à la ferme et les rumeurs de guerre ne laissent rien présager de bon.

Voici une copie d'écran d'une petite partie du registre matricule de Joseph Pelé: (cliquer pour agrandir)
L'intégralité de cette page est disponible sur Google drive



 Ces informations sont disponibles en ligne sur le site des archives d'Ille et Vilaine: Thot 35
Archives départementales

Il faut d'abord sélectionner la commune (point d'interrogation à droite) puis les années.
L'incorporation a lieu en principe à 20 ans.
Pour voir l'acte de naissance, sélectionner registres d'état-civil.
Pour les registres militaires, sélectionner généalogie.
Il faut ensuite s'armer de patience, chercher le nom et le matricule dans la table des registres matricules de l'année des 20 ans, puis retrouver le registre dans registres.
Pour Joseph Pelé, c'est en 1912, cote 1R 2124, matricule 222


Les craintes allaient, hélas, rapidement se justifier...Après l’assassinat de Sarajevo, le 28 Juin 1914, les tensions internationales explosent et en moins d'un mois, par le fameux "jeu des alliances", l'Europe se retrouve en guerre.

Notre grand-père est, évidemment, aux premières loges. Dans sa caserne, son régiment est prêt à partir.
Nous ne savons rien de son état d'esprit, de celui de la famille mais ce fut, sans doute celui de nombreux Français: résignation (on n'est pas parti "la fleur au fusil" contrairement à la légende) mais aussi acceptation du sacrifice (on est prêt à donner sa vie pour la patrie). On pense que la guerre sera courte. On connaît la suite...

C'est donc, le 7 Août 1914, le départ pour le front. Direction la Belgique, que les Allemands ont envahi pour surprendre la France (le fameux plan Schliffen). Vont suivre 4 ans d'une guerre dont chacun sait la dureté...


Le 2° RI va se battre sur plusieurs fronts au cours de ses quatre années de guerre.
C'est d'abord le recul jusqu'à la Marne en Septembre 14 puis la course à la mer et les premières tranchées.
Le régiment est envoyé ensuite dans différents secteurs: Artois, Argonne, Somme, Champagne, les Eparges...
Il évite l'enfer de Verdun en 1916 mais pas pour autant les combats meurtriers...
Au printemps 1918, il fait face à l'offensive allemande sur la Marne et reçoit les premiers renforts américains...
En décembre, il entre triomphalement dans Strasbourg, symbole d'une Alsace-Lorraine redevenue française...mais à quel prix!

Ce site donne un résumé détaillé des différents fronts sur lesquels a combattu le régiment.
 Le 2° RI en 14-18

Voici, sur une carte, les différentes zones où a combattu le régiment. (source: CRID 14-18




Comment se sont passés les combats? Quelles étaient les difficultés rencontrées?
Pour suivre, jour par jour, le régiment, un site incontournable: Mémoire des Hommes, conçu par le ministère de la défense.  Outre le recensement de tous les morts pour la patrie, il publie les journaux de marche (les JMO) des régiments ayant participé au conflit.
Bien écrits, donc faciles à lire, ces journaux sont objectifs: contrairement au "bourrage de crâne" de la presse, ils ne taisent pas les revers, les échecs, le nombre parfois élevé de morts. Certes, ils utilisent un langage administratif, froid, comptable: on ne connaît rien de l'état d'âme des soldats, le nom des simples soldats tués ou blessés n'apparaît pas (faute de temps ou de place sans doute), pas de trace d'éventuelles tensions (en particulier après les mutineries du printemps 17 ) et même, le 11 novembre 1918, aucune allusion à l'armistice tant attendue!

Une copie d'écran du rapport du 6 septembre 1914. Edifiant... 



Il faut donc savoir lire entre les lignes...On y devine, en particulier par les citations et décorations, la dureté des combats (nombre parfois impressionnant de victimes), les tirs d'artillerie, la crainte des gaz, les conditions météo...
On recense même la condamnation à mort d'un soldat pour abandon de poste...
Plus anecdotique, après de durs combats en Argonne (et avant d'autres dans la Somme...), le régiment passe quelques semaines de l'été 1916, à l'arrière...à Cempuis (Oise), peut-être dans le centre où a longtemps travaillé Gisèle, une des petites-filles de Joseph.


Voici l'adresse du site:

Impossible de créer un lien direct. Il faut donc sélectionner sur la page d'accueil:
régiments et bataillon, infanterie, régiments d'infanterie, 2° RI, JMO, puis l'un d'eux.


Pour Joseph Pelé, la guerre s'arrête le 1° mai 1917, en Champagne. Il est gravement blessé au cours d'une attaque au bois de la Grille, une balle dans la tête. Il est trépané et va faire de longs séjours dans des hôpitaux de la région parisienne: Hôpital des Invalides, Carrières sous Poissy, Argenteuil... (voir le registre militaire).

J'ai eu envie de découvrir l'endroit où mon grand-père a été blessé. C'est une démarche facile aujourd'hui sur internet. Après une recherche sur le bois de la Grille, j'ai pu situer et visualiser le lieu grâce à deux sites: Géoportail, le site de l'IGN qui offre une diversité de cartes et Google Earth (ou Google Maps qui ne nécessite pas d'installation) pour la photo du paysage.

taper "Mont Cornillet" et sélectionner "Mont Cornillet  Prosnes". Sélectionner la carte.


Google Maps est une des applications Google (damier en haut à droite). Pour voir une photo, glisser le petit personnage de l'échelle sur la route (lorsqu'elle devient bleue)


Le bois de la Grille n'apparaît plus aujourd'hui sur les cartes. Ce sont de grands champs plats, monotones. Il se situait à l'Ouest du mont Cornillet, à une quinzaine de km à l'Est de Reims. On perçoit aisément la dureté des combats sur les cartes et photos avec les villages détruits (Nauroy...) et les nombreux monuments commémoratifs et cimetières de diverses nationalités qui bordent les routes du secteur, comme à ce carrefour.


 Peu de traces non plus de notre grand-père dans les JMO du régiment. Il fut certainement un soldat de base, un poilu anonyme qui essayait de survivre dans cet enfer...Comme la plupart, il a dû se battre avec héroïsme, en témoignent deux passages:
-une citation à l'ordre du régiment, en mars 1917 (JMO 26N 572/4  p14, ci-dessous) )




-la médaille militaire,  en Avril 1918 (après sa blessure!) (JMO 26N 572/6 p 12 et 13)
Il reçoit la croix de guerre avec palmes en septembre de la même année avec cette citation: "Très bon soldat, d'une très belle tenue au feu, a été blessé grièvement le 1/5/17 en se portant à l'assaut des tranchée ennemies" (voir registre militaire ci-dessous)



Ses médailles:



De gauche à droite: la médaille militaire, la médaille UNC 14-18, la croix du combattant et la Croix de Guerre (avec une étoile -une citation-)


Un grand merci pour les photos à Gwendoline, arrière-petite fille, qui a sauvé ces décorations et a tenu à en assurer la conservation.

Joseph Pelé va garder des séquelles physiques de ses blessures (perte d'équilibre, de mémoire...) qui lui vaudront une pension de blessé de guerre (voir livret militaire). Difficile d'imaginer les séquelles psychologiques d'une si cruelle expérience. Notre grand-père s'exprimait peu sur le sujet, comme beaucoup d'anciens combattants (ou plus tard de déportés). On le comprend.

Au retour du front, Joseph se marie avec Marie Louise Pelé qui lui donne deux enfants: Marie, ma mère (Mme Roizil, décédée en 2015) et Joseph qui était prêtre (décédé aussi en 2015).
Voici leur photo de mariage, en 1920.



 
Le malheur le poursuit avec la mort de ma grand-mère, quelques mois après la naissance de mon oncle. Il se remarie avec sa belle-soeur (Louise) avec qui il a Louise (Mme Cherbonnel) et André (qui reprend la Vieuville), tous les deux décédés aujourd'hui.
Il décède en 1932, à 40 ans. Difficile d'imaginer que la guerre ne soit pour rien dans cette mort prématurée, même pour l'époque.

La guerre n'épargne pas la famille. En consultant l'ouvrage du Père Lécrivain " L'aieul aux 22400 descendants", je suis tombé par hasard sur le nom de Magloire Pelé, décédé au front. Il s'agit du beau-frère de Joseph, disparu le 9 mai 1915 à Roclincourt (au Nord d'Arras) à 32 ans. On n'a pas retrouvé sa dépouille. Il laisse une veuve.
Son nom figure sur le site "Mémoire des Hommes" dans la partie "Soldats morts pour la France" et bien sûr, sur le monument aux morts de Landéan.

j'ai retrouvé quelques photos sous forme de cartes postales datant à coup sûr de cette période mais que je suis incapable de dater ni de situer, faute d'indication précise au verso. Concernent-elles toutes notre grand-père? Tout éclairage sera le bienvenu!

Au dos de cette carte, ce mot manuscrit (ou du moins ce qu'on peut en déchiffrer...)
"Signé d'un poilu de la Somme qui ne s'en fait plus. Au revoir"
Peut-être une photo prise après l'armistice?

Les autres photos sont visibles sur Google Drive
photos de 14-18

Au dos de la photo de la voiture, de la même écriture, ce mot:
'Rollot, Somme, 15 Août 1917" signé(semble-t-il) "A Pelé", sans doute André Pelé, né à la Grande Garenne à La Bazouge du Désert, mobilisé dans les services infirmiers puis le Train (d'où la voiture) et qui sera ensuite recteur à Tresbeuf où il est enterré.


A travers l'exemple bien ordinaire de mon grand-père, j'ai tenté de montrer tout le parti que la technologie actuelle permet de tirer des archives. Il ne faut surtout pas hésiter à se l'approprier!
Si vous avez besoin d'un petit conseil, n'hésitez pas à me contacter:
 a.roizil@orange.fr

 A vos souris!!!

André